La carrière exemplaire du duo formé il y plus de vingt ans par Neil Tennant et Chris Lowe révele l'impensable : même la pop-disco synthétique peut etre l'occasion de s'adresser a l'intelligence de l'homme. |
Jusqu'en
1993, on a probablement pensé que le cheval était la plus belle conquête
de l'homme. Puis les Pet Shop Boys ont sorti leur album Very, et on s'est
enfin rendu à l'évidence : usurpé depuis trop longtemps par les équidés,
cet honneur revenait de droit au duo formé par Neil Tennant et Chris Lowe.
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En tout autre circonstance, on se jusqu'alors serait probablement alarmé. Mais que des raisons dans un domaine — la musique pop — de détester où, que l'on soit sur scène ou dans la salle, l'âge s'apparente souvent à un naufrage, les Pet Shop Boys sont un cas à part. Qu'on se rende à l'évidence : Neil Tennant a trente ans lorsque le duo publie West End Girls, son premier single. (Au même âge, les Beatles se séparaient ; les Rolling Stones, David Bowie, Cure, Madonna ou U2 avaient dix ans de carrière ; Jimi Hendrix, Jim Morrison, Brian Jones et lan Curtis étaient morts.) En 1989, le chanteur déclare: « J'ai toujours essayé d'écrire sur des sujets adultes. » Et lorsque, en 2001, Tennant et Lowe évoquent les paroles de leur single Se A Vida E, où Tennant chante « Life is much more simple when you're young », Lowe affirme : «Je ne suis pas du tout d'accord. La vie est beaucoup plus simple quand on est âgé. C'est aussi simple que ça. » Ainsi, les Pet Shop Boys — en tant que groupe — n'ont jamais été jeunes. Mieux : ils n'ont même pas cherché à le paraître. A priori anecdotique, cet aspect illustre en fait avec acuité le paradoxe, voire l'anomalie, que constitue la carrière des Pet Shop Boys, une des rares formations à avoir infiltré la pop commerciale en ayant constamment pris soin — parfois à l'insu de son auditoire — de s'affranchir de tout ce qui parasite la musique, de tout ce qui relève de l'artifice, du formatage, du spectacle (culte perpétuel de la jeunesse et du cool, authenticité de pacotille, pseudo-rébellion, bons sentiments télégéniques) jusqu'à la phagocyter. Qu'on ne s'y trompe cependant pas : cette approche ne fait pas des Pet Shop Boys le groupe constamment ironique et outrancier — post-moderne, en quelque sorte — que l'on a souvent voulu voir. (En fait, cette réputation en dit plus sur le peu d'estime qu'ont pour la pop commerciale ceux qui l'ont attribuée au duo, même à titre de compliment, que sur la façon dont Tennant et Lowe conçoivent leur travail.) « Il y a bien de l'ironie dans nos textes, déclare Tennant en 1989, mais cela ne signifie pas que nous pensons perpétuellement en termes d'ironie. Au contraire... Je pense que nous sommes plus sérieux et sincères que la majorité des musiciens de pop. » S'il est toujours d'actualité, ce purisme, comparable à l'état d'esprit caractéristique de l'artisan, a surtout marqué la première partie de la carrière des Pet Shop Boys (les années 1980, grosso modo). Ainsi, en 2001, passant la discographie du duo en revue, Tennant déclarait à propos de l'album Actually (1987) : « J'ai senti à cette époque que nous détenions le secret de la pop contemporaine, que nous savions ce qu'elle requérait », avant de qualifier Introspective (1988) d'album « impérial ». « Celui, ajoutait-il, où nous avons eu le sentiment, en le faisant, que nous avions saisi l'essence de la pop, et que nous pouvions faire ce que nous voulions. A cet instant, on pourrait objecter que les Pet Shop Boys partagent cette quête incessante, quasi scientifique, de la chanson pop parfaite avec les innombrables industriels du genre, au premier rang desquels figurent sans aucun doute Stock, Aitken et Waterman, compositeurs de plus de 200 singles de 1984 à 1993 (et premiers fournisseurs de la plupart des brailleurs cités plus haut). Chris Lowe n'est pas loin de partager cet avis : « J'aime les chansons de Stock, Aitken et Waterman, leurs mélodies, leurs refrains accrocheurs, explique-t-il en 1989. Et je crois qu'on peut apprécier leur musique indépendamment de l'idée que l'on se fait de leurs interprètes ou de leur public. » C'est d'ailleurs principalement sous son impulsion que, tout au long de sa carrière, le duo est toujours resté au contact des avatars successifs de la dance — sans jamais oublier de les affiner —, justifiant que l'on puisse, en première approche, apprécier les oompa oompa disco-synthétiques de ses compositions les plus vigoureuses pour les mêmes raisons que l'on peut se laisser séduire, presque sans y réfléchir, par Kylie Minogue ou Madonna. En rester là serait dommage, cependant. Car Tennant et Lowe ont bien plus à offrir que le service minimum dont se contente, faute de réelles competences, une large majorité des pop-stars de consommation courante qu'ils défient depuis près de vingt ans. « Stock, Aitken et Waterman écrivent de bonnes mélodies, convient Tennant. Mais ça m'énerve beaucoup d' entendre affirmer : "Nous donnons aux gens ce qu'ils veulent." Je méprise vite attitude condescendante, qui est la négation de toute dimension artistique — ce que leurs compositions ont parfois. Je n'ai pas le sentiment que lorsqu'ils écrivent un morceau, ils essaient de lui donner cet aspect fabuleux, magique, que toute bonne composition pop doit posséder... » Impulsée à l'origine par Tennant, cette ambition de transcender la musique pop est, depuis leurs débuts, le réel moteur des Pet Shop Boys. C'est aussi elle qui fait l'indiscutable supériorité du duo. « De nombreux groupes ont de meilleurs rythmes que nous, convenait Tennant en 1991, mais ils n'ont pas de mélodies. Ils ont la technologie, nous avons le talent. » On ne saurait être plus clair. On ne saurait non plus avoir davantage raison. Musique, sujets des chansons, styles des textes, design, concerts ou look : tous ces aspect de la musique pop sont autant d'occasions pour le duo de se distinguer, se remettre en question, développer de nouvelles idées et trouver des façons élégantes de rivaliser avec une pop commerciale qui, derrière son mauvais masque de jouvence et d'insouciance, se caractérise plutôt par sa frilosité et son étroitesse d'esprit. En fin de compte, si les Pet Shop Boys restent incomparables, c'est parce qu'ils sont convaincus que toute activité, fût-elle aussi futile que la musique pop, offre toujours l'occasion de s'adresser à l'intelligence de l'homme. (Extrait du guide MusicBook Pet Shop Boys de A.Z par Vincent Laufer paru en 2003) |
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